Imagine que tu arrives aux portes du monastère de Sera, à quelques kilomètres de Lhassa. Le soleil tibétain, si particulier, caresse ta peau, même à travers les vêtements. L'air est frais, pur, et emplit tes poumons d'une énergie douce. Tu n'entends pas encore le brouhaha de la ville, mais plutôt un silence profond, parfois brisé par le frôlement d'une robe safran ou le murmure d'une prière portée par le vent. C'est une sensation d'apaisement qui t'enveloppe, comme si le temps ralentissait déjà avant même d'avoir franchi les premières enceintes.
Puis, tu t'avances vers la cour des débats, et là, c'est une explosion de vie. Imagine des dizaines, des centaines de moines, leurs robes bordeaux et safran virevoltant. Tu entends un son unique, un mélange rythmé de claquements de mains secs et sonores, de rires, de questions lancées et de réponses ferventes. C'est leur façon d'étudier les écritures bouddhistes, de s'interroger, de se défier dans la connaissance. Tu peux sentir l'énergie vibrer dans l'air, une passion intellectuelle intense, presque tangible. Si tu fermes les yeux, tu perçois le rythme des corps qui se balancent, l'écho des voix qui montent et descendent, un véritable ballet sonore et spirituel.
Après l'effervescence des débats, l'intérieur des temples offre un contraste saisissant. Tu entres dans une pénombre douce, où l'odeur entêtante de l'encens se mêle à celle du beurre rance des lampes à huile, une odeur qui te pénètre et te suit longtemps après. Tes yeux s'habituent lentement à la lumière tamisée, révélant des fresques murales aux couleurs profondes, des statues dorées qui semblent veiller sur toi. Le silence n'est pas total ; tu perçois le murmure de prières individuelles, le tintement occasionnel d'une clochette, le crépitement des flammes. C'est un espace où le temps semble suspendu, invitant à l'introspection, où chaque pas résonne avec une sérénité inattendue. Tu peux presque toucher l'histoire, la dévotion qui imprègne les murs.
Pour t'y rendre, c'est facile : un taxi depuis Lhassa te coûtera environ 30-40 CNY, ou tu peux prendre un bus local pour une bouchée de pain, mais il faut un peu plus de temps. Le meilleur moment pour assister aux débats, c'est l'après-midi, vers 15h, sauf le dimanche. Arrive un peu avant pour t'installer. N'oublie pas de porter des vêtements respectueux (épaules et genoux couverts) et des chaussures faciles à enlever pour l'intérieur des temples. Prévois de l'eau et un chapeau, le soleil tape fort. Et pour les photos, demande toujours la permission, surtout à l'intérieur, c'est souvent interdit ou payant.
Tu sais, un vieil homme que j'ai rencontré là-bas, un grand-père aux yeux rieurs, m'a raconté un jour : "Ce monastère, c'est comme une immense bibliothèque vivante. Ici, les savoirs ne sont pas juste écrits dans des livres, ils sont *débattus*, *questionnés*, *vivifiés* chaque jour par les moines. C'est pour ça que Sera est si important. C'est ici que l'esprit du Bouddha reste aiguisé, non pas en le répétant bêtement, mais en le comprenant profondément, en le testant avec des questions difficiles. C'est ce qui a permis aux enseignements de traverser les siècles, même quand les temps étaient durs. Chaque claquement de main, c'est une étincelle de sagesse qui jaillit." Ça m'a fait comprendre la profondeur de ce que j'observais.
En quittant Sera, tu emportes avec toi non seulement le souvenir des sons et des images, mais aussi une impression de quelque chose de plus profond. C'est une paix qui s'est installée en toi, une résonance des voix, une trace de l'odeur d'encens qui semble imprégner tes vêtements. C'est un lieu qui ne se visite pas seulement avec les yeux, mais avec le cœur et l'esprit, laissant une empreinte durable.
Manon en vadrouille